Rapport #09

Une nouvelle semaine commence, et avec elle, j’arrive presque à mi-parcours de ce séjour. Tout va trop vite ici…

Le cours de Nic Collins oscille entre Rainforest de Tudor et Queen of the Desert d’Alvin Lucier.

Dans un premier temps donc, nous expérimentons nos objets et/ou nos sons. Le but est d’arriver à une installation cohérente. Je me focalise sur des fréquences variables et une bouteille en plastique pour la résonance. J’ai l’impression de trouver ma place peu à peu, et d’être à l’aise avec mes sons. Le résultat de notre Rainforest est très équilibré, même si on est loin de la forêt amazonienne. C’est surtout la déambulation entre les différents dispositifs qui est intéressante : des ordinateurs de partout, des canettes et des bouteilles sonores, des instruments trafiqués etc…

Une fois ce drôle d’ensemble éteint, nous commençons à travailler sur The Queen of Desert de Lucier : poser des substances sur une toile afin de voir apparaître des images. En gros, l’important n’est plus vraiment la qualité du son mais sa capacité à bouger des objets. Je (re)pense à cette idée évoquée dans le précédent rapport sur la puissance du son dans l’espace : ici, c’est presque la preuve par A+B. Non seulement le son devient générateur d’images, mais en plus il bouge les objets. Le son comme force physique.

En ce qui concerne le projet son avec Peter Gena, je présente cette fois-ci B, comme une suite du travail précédent. Cette fois-ci, je me focalise sur l’aspect harmonique et rythmique pour faire évoluer cette fréquence B (Si). Ce qui m’intéresse en fait avec ce cours, je crois, c’est de me lâcher de plus en plus. Je commence à laisser mes pulsions « mini-animales » reprendre le dessus.

En parallèle, j’ai aussi l’impression de me permettre de prendre plus de temps pour faire les choses. Au lieu de me lancer dans le projet, j’ai tendance à beaucoup plus prendre le temps d’essayer les outils et les logiciels.

Je décolle de Chicago.

La nuit est bien noire : on mange des chips bleues alors que sur l’écran, rien de très intéressant : Britney Spears dévoile ses secrets d’enfance, That’s 70’s Show sur FXTV, un match de basket et un vieux film avec Will Smith…

Le noir de la nuit se dissipe : c’est carrément une sorte de carte de mille lumières. Même à des kilomètres du sol, on est ébloui. Nous y sommes ! New York en dessous de nous. Je me sens entre les décors de Metal Gear Solid et Tron. Quelque chose d’irréel en tout cas.

JFK.

Air Train.

Subway.

Queensboro Plaza.

C’est avec ces indications que nous atterrissons chez nous, un hôtel dans le Queens. Rien que de l’écrire j’ai l’impression d’être dans un film. Ce n’est pourtant que je générique de début… Tous ces endroits sont vrais : c’est comme valider ce que l’on voit à la télé. Drôle d’impression…

Minuit : métro du Queens vers Manhattan. Sortie à Central Park South. Il fait étonnamment sombre et vide. On erre, les yeux captivés vers là où il y a de la lumière. On passe dans la lumière du jour en traversant une rue : Times Square. En l’espace de quelques secondes, on est plongé dans la (les) lumières et des tonnes de gens de partout. Même plus la peine de se demander quelle heure il est : ici il fait jour tout le temps et personne ne dort jamais.

On s’installe boire un coup, on observe le jaune des Cabs et les quelques voitures sur les voies bondées.

4:00 ante meridiem. Un taxi pour la maison et une nuit trop courte.

Arrivée au MoMA, ou comment voir ses livres d’art en 3D. Première matinée dans la Grosse Pomme et déjà je suis subjugué : Richard Serra, Carl André, Eva Hesse, Dan Flavin, Piero Manzoni, Marcel Duchamps, Lucio Fontana… Plus on monte les étages et plus ça monte dans ma tête.

Je suis étonnamment scotché devant Head de Cheryl Donegan : une vidéo hautement suggestive à un tel point que je me sentais presque pervers de la regarder jusqu’au bout. En ce sens, je pense que l’artiste a réussi son boulot.

Le grandiose A, C, D (From Group/And) de Dorothea Rockburne me paralyse les yeux un bon moment. La structure me séduit par sa simplicité et sa légèreté. On est comme devant des murs fragiles, mais tenaces.

C’est au quatrième étage que je me retrouve en face de mon point 0 : Abstract Painting de Ad Reinhardt : un simple monochrome noir, régulier, lisse, homogène. L’artiste le décrit comme le monochrome d’une non-couleur, le noir ne correspondant pas à un réel ton. C’est en ce sens que je vois cette peinture comme une limite : le zéro absolu.

Exactement un étage plus loin, c’est le Carré Blanc sur Fond Blanc de Kasimir Malevitch que j’observe. Ici, c’est l’autre limite : c’est l’ouverture la plus totale. Le suprématisme comme degré maximal.

De voir ces deux tableaux quasiment au même moment, c’est assez bizarre : avec leur histoire, ces tableaux ont vraiment marqué l’histoire de l’art, en posant des questions sur le devenir de la peinture. Me retrouver devant, c’est comme regarder ces idées, et non pas juste les lire.

C’est aussi devant le Monochrome Bleu de Klein, que je me retrouve dans cet état de yeux grands ouverts. Voir le Bleu Klein, ce n’est pas juste en parler : on voit vraiment l’effet de ce bleu « cosmique ». Je me demande juste pourquoi l’avoir encadré, l’empêchant ainsi de « déborder » de son support, pour devenir cette chose immatérielle, chère à Yves Klein…

Tout en haut, c’est Color Chart et Design and the Elastic Mind.

La première est une grosse claque de couleurs et lumières (Dan Flavin, Color Aid de Serra…). Les pièces sont parsemées de classifications de couleurs, d’ombres colorées, de textes (Lawrence Weiner). J’y rencontre même des Marylin sérigraphiées par Andy Warhol.

La deuxième expo me rappelle plus ce qu’on pourrait trouver à la Villette et la semaine thématique sur le Bioart : il y a même le Victimless Leather Jacket d’Oron Catts et Ionat Zurr.

Une fois cette tornade d’œuvres une peu digérée, c’est à Lindy’s que je digère un sandwich Britney avec mon Dr. Pepper. Puis nous déambulons encore dans la ville comme si elle allait nous échapper entre les mains.

Métro. Mac Do. Dodo.

Nous sommes sur la route de Madison, en direction de la Biennale du Whitney. L’exposition est évidemment immense. Beaucoup de pièces avec de l’écriture, des textes, des mots (Divine Violence de Daniel Joseph Martinez). Je remarque aussi une drôle d’installation de Mika Rottenberg, Cheese. Une sorte d’étable parsemée de vidéos rappelant les Cremaster de Matthew Barney : un mélange de mythes, de fiction, de réel, le tout sur des supports au format film.

Plus loin, des vidéos qui accrochent :

Letter on the Blind, for the Use of Those Who See de Javier Téllez. Un éléphant dans un parc au cœur d’une grande ville, « touché » par des aveugles. Le rapport entre les mouvements de l’éléphant et ceux des mains des aveugles est très beau. Calme, pudique et touchant.

Harry Hodge et Stanja Kahn proposent des faux documentaires artistiques ridicules. Son sujet me fait penser au personnage de Lisa Kudrow dans la série The Comeback : en gros la fausse prétention et l’asservissement au service de l’audimat, ainsi que la peur d’être oublié. Dans la pièce à côté, Operation Artopos d’Olaf Brenning fait un peu écho à ce genre de travail. Ici, un faut touriste occidental débarque en Afrique. Du basique touriste riche, il passe au touriste ridicule, puis touchant ou complètement fou.

A notre grande surprise, l’exposition s’étant aussi sur le Park Avenue Armory, un ancien bâtiment du 7e régiment de l’armée. C’est précisément dans ce lieu que j’ai vu l’une des belles expositions de ma vie : un vieux bâtiment, boisé, ciré, laqué, avec des vieux meubles chics, et toutes ses drôles d’interventions artistiques de partout. Je me sens comme dans le jeu Silent Hill : des tentes de l’armée, des robots en pantoufles, des grands espaces vides sonores angoissants, des cubes blancs gigantesques, des mezzanines sombres, étriquées, des portes de partout, des pièces anachroniques et d’apparence illogique. Tout semble comme un drôle de rêve. Un visiteur me propose même de la beuh en plein milieu des boules à facettes de Lucky Dragons.

Une fois sortis de cette ambiance bizarre, nous marchons un peu n’importe où. Ground Zero est ton trafic hallucinant, son centre financier avec vis-à-vis sur le chantier, des bâtiments gigantesques à perte de vue. Nous nous arrêtons de partout ? C’est de cette manière que nous arrivons au port sud de la ville. Beaucoup de vent, mas surtout les lumières de la ville, les ponts et de l’eau de partout. Manhattan est une île, est nous en voyons à peine un échantillon ici.

C’est seulement arrivés au 102e étage de l’Empire State Building que nous réalisons que nous sommes entourés d’eau : une large bande noire se dessine entre des espaces saturés de lumières. D’ici tout paraît minuscule, même le Chrysler Buidling à côté, ou le Grand Terminal de métro.

Nous sortons boire une bière au Madison Square Garden. À en croire l’animation, les Lakers ont gagné. Les rues sont illuminées et sentent le Hot-Dog. Les grilles de métro fument. Les pubs sont pleins à craquer. La pluie étant finie, les New-Yorkais ont laissé leurs parapluies achetés d’urgence chez les marchands ambulants. Les trottoirs sont ponctués de cadavres de parapluies qui n’ont pas tenu le coup.

N’ayant pas eu l’intelligence d’acheter ces mêmes parapluies, nous rentrons, trempés.

Alors que dans l’épisode de la nuit précédente de Sex and the City, Carrie Bradshaw rentre bredouille parce que le Guggenheim Musuem est fermé, j’ai eu plus de chance. Bien que la façade soit en réparation, rendant le musée moche de l’extérieur, j’ai pu enfin voir comment était cet endroit et son hall avec vue sur le toit. Je repense à The Order de Matthew Barney et me rends compte de l’échelle du bâtiment.

Le musée accueille une exposition de Cai Guo-Qiang intitulée I Want to Believe. Il a rendu le lieu totalement fou !!! Des voitures perforées par des lumiéres, suspendues dans tous les sens, des loups traversant l’espace, un bateau transpercé par des milliers de flèches, des sculptures fragiles qui nous frôlent alors qu’on visite les étages. Le lieu est parsemé de dessins qu’il fait avec de la poudre à exploser, nous amenant peu à peu vers ses performances avec la poudre tantôt sur des feuilles, tantôt dans des espaces ouverts. C’est une de ses performances en Ecosse qui m’a le plus interpellé : il y envoie la poudre dans les airs, créant des feux d’artifices noirs dans le ciel bleu. L’effet est presque surnaturel : la fumée restait immobile un moment dans le ciel, comme des taches d’encre noire bloquées sur une feuille bleu ciel.

En face du musée, Central Park. Le gros rectangle vert au milieu de Manhattan. Ici, une drôle d’espèce peuple les lieux : les joggers. Reconnaissables à leur tenue estivale et leur iPod, les joggers tracent sur les routes, sentiers, chemins de Central Park, même par grand vent comme aujourd’hui.

Cela dit le parc est absolument immense : permettant une vue imprenable sur le parc, les arbres et les buildings. L’image est bizarre, donnant l’impression d’une ville plus forte que la nature, qui paraît minuscule au milieu.

A peine le temps de fermer les yeux et digérer ces quelques jours et l’on rentre à Chicago, notre hometown…

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